Le 16 mai 2011

Économie

Le paradoxe de l'emploi

Jacques Parizeau, économiste et auteur

On sait que l'industrie manufacturière québécoise va très mal. Depuis 2003, elle a perdu environ 100 000 emplois. Cela s'accompagne d'une grave crise de l'industrie forestière. Pourtant, l'emploi total augmente au Québec, et le taux de chômage est moins de 7 %.

L'industrie manufacturière a été frappée de plein fouet, comme celle de l'Ontario d'ailleurs, par la hausse de 50 % en quatre ans de la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain. Le prix de nos exportations a augmenté, et celui de nos importations a diminué. Nous vendons moins à l'étranger, nous achetons plus, les emplois dans l'industrie tombent. La situation est d'autant plus sérieuse que la productivité d'une part importante de l'industrie québécoise est inférieure à celle de l'Ontario, qui est inférieure à celle des États-Unis. Un dollar canadien à 0,65 $ palliait ces différences de productivité. Il servait même de chloroforme. Pourquoi faire des efforts pour accroître la productivité et mettre au point de nouveaux produits, puisqu'on vend facilement aux États-Unis? Mais à parité avec le dollar américain, l'évolution de certains secteurs industriels ressemble à une débandade, surtout s'ils sont exposés à la concurrence des produits chinois. En quatre ans, la Chine est devenue le deuxième fournisseur international du Québec. Tous les secteurs ne sont évidemment pas touchés; l'équipement de transport, les produits électriques et jusqu'à récemment l'électronique se défendent fort bien.

La hausse du dollar canadien a réduit substan­tiellement le prix de la machinerie et de l'équi­pe­ment. Pourtant, les investissements de ce type avaient peu augmenté jusqu'à récemment. On ne peut donc s'étonner qu'il n'y ait pas de rattra­page généralisé de productivité.

L'avenir est-il dans les services?

La production de biens et de produits (industriels, agricoles, miniers, etc.) est responsable du quart des emplois au Québec. Les trois quarts sont dans les services, un amalgame d'activités diverses, de la restauration à la fonction publique, des technologies de l'informatique à la coiffure. Certains de ces emplois sont traditionnellement les moins bien payés dans la société, mais d'autres sont à la pointe des rémunérations. Le plus souvent, le coût principal des services est la main-d'œuvre. Et le principal investissement est aussi dans la main-d'œuvre. Il y a des exceptions, comme les transports.

Beaucoup de services sont liés à l'importance de la population et à son niveau de revenu. C'est le cas du commerce de détail ou des services personnels. D'autres n'apparaissent pas automatiquement. Le développement de logiciels ou la recherche pharmaceutique n'obéissent pas à des lois de la nature. Ils peuvent s'installer n'importe où, si les conditions de leur apparition et de leur développement sont réunies. L'emploi dans ce genre de services, dans une économie moderne, augmente rapidement. Ainsi, de 1996 à 2006, si l'emploi total au Québec s'est accru de 20 %, les emplois dans les services professionnels scientifiques et techniques ont augmenté de 66 %.

Les leviers du développement

C'est à partir de constatations de ce genre que l'on comprend de plus en plus dans les pays développés et riches que le dynamisme de l'économie dépend de l'aptitude scientifique et technique, qui à son tour est à la source de l'innovation et, au bout du compte, de la prospérité.

Déjà au Québec, 37 % des Québécois âgés de 25 à 64 ans ont un emploi classé comme scientifique ou technique. Les diplômés universitaires occupaient 17 % de tous les emplois en 1997 et 22 %, 10 ans plus tard. Les progrès sont visibles, mais les écarts régionaux sont considérables. Si dans la région de Montréal, 44 % des emplois sont classés techniques ou scientifiques, dans le centre du Québec et dans le Bas-Saint-Laurent, la proportion n'est que de 27 %. Les diplômés universitaires occupent 39 % des emplois dans la région de Montréal, mais seulement 11 % dans le Bas-Saint-Laurent.

On en arrive à la conclusion que ce n'est pas tout de clamer que l'éducation doit être une des priorités essentielles des sociétés modernes, comme on le répète partout et toujours. Les efforts et les ressources doivent être concentrés sur la formation professionnelle, la formation technique et scientifique. Il faut aussi réhabiliter les métiers, ou plutôt l'image que tant de gens s'en font. Le mécanicien d'aujourd'hui doit satisfaire à des exigences et à une rigueur que certaines disciplines intellectuelles ne requièrent pas.

Et puisque l'on met un tel accent sur le développement régional, il faudra bien que l'on finisse par accepter à Québec l'idée qu'en région ­l'université et le cégep sont des leviers essentiels du développement et que c'est en accroissant leurs ressources et en intensifiant leurs rapports avec l'entreprise qu'on assurera l'avenir. «Qui s'instruit, s'enrichit», lisait-on le long des routes au début de la Révolution tranquille. Cela reste vrai.